23/08/2010

7. Le baccalauréat en poche

Depuis la fin du mois de février 1995, j'avais réussi à reprendre le chemin des cours. Cela n'était toutefois pas facile de suivre le programme avec les quatre mois de retard que j'avais accumulés. Quatre mois d'absence en dernière année de gymnase, ça fait beaucoup et je n'étais pas du tout sûre de décrocher mon bac à l'issue de cette année.

J'avais très peur d'échouer, car ça pouvait me renvoyer devant des difficultés insurmontables.

J'ai donc décidé de ne pas m'écouter et de fonctionner en mode automatique: seul moyen de ne pas souffrir.

J'allais aux cours quelques heures par jour, incapable de rester réveillée plus d'une demie journée à cause de la dose massive de neuroleptique et d'anxiolytique que les psychiatres m'avaient prescrite. Je devais également me rendre à leurs entretiens deux fois par semaine. Sans oublier que je devais faire bonne figure à la maison pour que ma mère ne s'inquiète pas et qu'elle me laisse continuer à fonctionner ainsi jusqu'à la fin de l'année scolaire.

Le mois de juin arriva très vite et avec lui les examens finaux clôturant ces trois années de gymnase. Mais avec lui arriva également le moment de s'inscrire à l'Université. Je n'y avais plus du tout pensé, étant complétement absorbée par mes problèmes du moment. C'est ainsi que mon professeur de mathématiques est venu me voir pour me dire qu'il fallait absolument que je m'inscrive à l'Université et qu'il fallait que je choisisse l'option mathématique.

Mais je n'étais pas du tout prête à envisager mon futur dans l'état où je me trouvais. J'avais juste envie d'investir l'énergie qu'il me restait dans les révisions afin de pouvoir peut-être décrocher mon bac.

Je m'inscrivis quand même à l'Université de Lausanne en section mathématique dans le but d'avoir un dossier d'inscription en route au cas où je décrocherais mon bac et que j'aurais la force de continuer à vivre.

C'est vraiment dans cet état d'esprit que je remplis mon formulaire d'inscription, car je ne me voyais aucun avenir après le bac. Je continuais simplement à avancer vers cette fin d'année scolaire, parce qu'autrefois ça avait été mon but...

Et, par je ne sais quel miracle, je décrochais brillamment mon bac malgré mon état lamentable.

La remise des diplômes ne fut pas très agréable pour moi, car beaucoup de mes camarades ont pensé que j'avais été largement avantagée et que les professeurs m'avaient donné mon diplôme.

Je ne peux pas leur en vouloir, car eux tout ce qu'ils ont vu, c'est une fille qui n'est pas venue aux cours pendant quatre mois et qui est venue à la carte les quatre mois qui suivants.

En fait, mes camarades ne m'ont presque pas vue pendant cette dernière année et ils en ont vite conclu que je me l'étais coulée douce tout ce temps pendant qu'eux trimaient comme des fous. Mais c'est un peu de ma faute s'ils ont pensé ça de moi, car je ne voulais pas qu'ils soient tenus au courant de mon passage dans une unité psychiatrique et seuls quelques amis proches le savaient.

Pour que cela soit bien clair: J'ai dû passer les examens finaux comme tout le monde et je n'ai pas eu de traitement de faveur à ce sujet!

Je me sens obligée de préciser cela, car lors de cette remise des diplômes, une grande majorité de mes camarades et de leurs parents ont émis des doutes à ce sujet.

Heureuse d'avoir obtenu mon baccalauréat (maturité fédérale section mathématique-science), j'oubliais quelques instants mon calvaire psychiatrique.

Bien évidemment, je devais toujours ingurgiter des comprimés et j'étais toujours soumise à des entretiens psychiatriques à la section ambulatoire de l'hôpital psychiatrique de Nant.

Mais ce traitement allait bientôt prendre fin.

Lorsque les psychiatres m'annoncèrent que mon "traitement" chez eux était terminé, j'étais aux anges. J'étais persuadée que mes stratégies avaient payé et que le fait que je réussisse à passer mon bac avait contribué à les faire changer d'avis à mon sujet.

En réalité, mon attitude n'y était pour rien dans leur décision. Si mon "traitement" prenait fin, c'était parce que cela figurait dans le protocole de l'établissement. Les patients de cette unité de l'hôpital psychiatrique de Nant, ne pouvaient être suivis que pendant six mois et moi j'avais été suivie pendant presque neuf mois...

Le psychiatre en chef insista bien sur la chance que j'avais eue d'être suivie pendant trois mois de plus que le protocole de soin ne l'autorisait. Qu'il avait fait une exception pour moi et que je devais me montrer reconnaissante envers lui pour ce geste exceptionnel!

Lorsque je sortis de ce dernier entretien, des larmes de joie me coulaient le long de joue. Je voulus partager le bonheur de cette liberté retrouvée avec ma mère, mais celle-ci cassa vite cet élan en me disant:

"Les psychiatres m'ont dit que tu n'étais pas tirée d'affaire, loin de là. En fait, ta maladie est bien installée et continue à progresser. Il va falloir qu'on te trouve un excellent psychiatre qui puisse continuer le traitement commencé par les psychiatres de Nant."

Je restais interloquée...

à suivre...

 

 

19/08/2010

6. Il faut que je décroche mon bac!

Janvier 1995

En ce début d'année, je me trouvais au plus bas. Je n'avais plus envie de vivre.

Mais je me battais quand même. Je me forçais à manger malgré la difficulté que j'avais à déglutir à cause de la sécheresse de ma bouche.

En effet, les neuroleptiques et les anxiolytiques que les psychiatres m'avaient administrés avaient une pléthore d'effets secondaires dont celui de stopper la production de salive. Manger devenait alors douloureux, car tous les aliments restaient secs dans la bouche.

Ces médicaments généraient aussi beaucoup de souffrances physiques et psychiques. J'avais des maux de tête continus. Je ne supportais plus la luminosité du soleil ou les bruits les plus anodins du quotidien. J'avais des tremblements. Je souffrais également de problèmes intestinaux et de problèmes de sommeil. Tout cela générait de terribles angoisses et les idées noires commençaient à envahir mon quotidien. Je commençais à penser que mon corps et mon esprit ne supporteraient plus très longtemps d'être soumis à un tel traitement.

En me voyant dépérir sans que personne ne réagisse, je me suis dit que j'étais la seule à pouvoir sauver ma propre vie, car personne d'autre ne semblait vouloir intervenir.

Mon seul espoir de pouvoir fuir la psychiatrie était de montrer que j'étais quelqu'un de normal, tout à fait capable de vivre en société sans se plaindre. Il fallait que je trouve un moyen de réintégrer ma classe pour montrer que ma vie reprenait un cours normal, que j'allais bien.

Je ne savais pas comment y parvenir, car je devais convaincre ma mère de me laisser reprendre les cours dans cet état de délabrement avancé. Je devais également m'assurer qu'après quelques mois d'absence, je pouvais quand même reprendre ma place dans ma classe de dernière année.

Je savais que cela n'allait pas être facile et qu'après m'être assurée que ces deux points pouvaient être obtenus, il fallait que je trouve un moyen de berner les psychiatres pour qu'ils n'interviennent plus dans ma vie. Je n'étais pas du genre à manipuler les gens, mais là il était question de sauver ma vie. Ces gens étaient en train de me tuer à petit feu, il fallait que je leur échappe coûte que coûte.

C'est ainsi qu'à la fin du mois de février 1995, je réussis à reprendre le cours de ma vie. J'avais réussi à faire céder ma mère qui ne voyait de tout façon plus comment il fallait faire pour me redonner goût à la vie. Elle avait constaté que la seule chose dont je parlais depuis deux mois et qui semblait me tenir en vie était l'envie de retourner en cours et de passer mon baccalauréat.

Mes professeurs ayant toujours vu en moi une élève modèle et brillante, n'ont pas hésité à me laisser reprendre mes études. Ils ont même fait preuve de compassion en me laissant aménager mes heures de présence les premières semaines de ma reprise.

Comme je ne devais me rendre que deux fois par semaine pendant une heure aux "séances de packs" et comme mes professeurs s'étaient montrés très compréhensifs quant à ma présence aux cours, je réussis à assister à un grand nombre de cours tout en bernant les psychiatres par ma présence à leurs rendez-vous.

Je ne suis pas du tout fière d'avoir dû manipuler ces gens, mais je n'ai trouvé aucun autre moyen de me réapproprier ma vie.

Cela n'a toutefois pas été facile de retourner en classe, car assommée par les neuroleptiques et les anxiolytiques dont j'étais devenue dépendante, je ne parvenais plus à me concentrer.

Le regard de mes camarades de classe et de mes professeurs était aussi difficile à supporter. Ils me regardaient tous avec tristesse et pitié, car ce qu'ils voyaient c'était une fille maigre avec des yeux plongés dans le vide qui ne semblait jamais vraiment être là.

Ils constataient aussi mon incapacité à me concentrer ou à mémoriser les cours.

C'était très dur de sentir ces regards peinés sur moi.

Ma vie scolaire était devenue ma bouée de sauvetage, le seul lien concret avec une vie normale, la seule possibilité de fuir la psychiatrie, ma seule chance de m'en sortir, de vivre, de survivre...

Je devais maintenant mener plusieurs combats de front. Il fallait que je trouve un moyen de rattraper le retard que j'avais accumulé en manquant quatre mois de cours. Il fallait également que je trouve la force de survivre aux entretiens psychiatriques. Et il fallait que je continue à me montrer forte devant ma mère pour qu'elle ne se précipite pas chez les psychiatres pour leur dire que j'avais replongé et qu'il fallait augmenter les traitements.

Mais ma mère n'a pas tardé à les informer du fait que j'avais repris mes cours.

Cela n'a pas eu une grande influence, car ce qui importait aux psychiatres c'était que leur protocole soit respecté. Ainsi, si je me présentais à tous leurs rendez-vous et que je ne faisais pas d'histoires, ils me laissaient tranquille. Je soupçonne par contre qu'ils ne se sont pas strictement opposés à ce que je reprenne les cours tant ils étaient persuadés que je n'allais pas tenir le coup.

Durant les quatre mois qui suivirent, je dus me surpasser, tant sur le plan intellectuel que sur les plans physique et psychique.

Des amis m'ont aidée à rattraper mon retard, mais ça n'a pas été facile pour moi d'intégrer le contenu des cours. En effet, les médicaments que je devais prendre chaque jour m'empêchaient de me concentrer. Ma mémoire m'avait abandonnée et mes camarades devaient me répéter plusieurs fois les choses pour que j'arrive à les comprendre. Ce n'était vraiment pas facile de fonctionner normalement avec ces substances qui annihilaient toutes mes fonctions cérébrales. Mais je m'accrochais, car je n'avais pas le choix.

Je luttais également pour ne pas me faire démolir psychologiquement lors des séances avec les psychiatres. J'essayais de penser que ça n'était pas moi qui était là, nue et humiliée. J'essayais de penser aux cours que j'avais eus juste avant. J'essayais de me projeter dans la classe au milieu de mes camarades. Mon corps était là, mais mon esprit fuyait dans un endroit rassurant. Je n'avais pas toujours besoin de parler pendant ces séances et j'en profitais pour m'évader par la pensée. J'avais trouvé un moyen de moins souffrir.

Mais tous ces combats m'épuisaient et je ne me reposais jamais. Oui, je dormais dix heures par nuit, mais non, psychologiquement je ne me reposais pas.

J'étais cassée, brisée, mais j'avais trouvé un moyen de fonctionner quand même. Je fonctionnais machinalement, comme un robot, en espérant que ça paie et que je retrouve mon âme après avoir obtenu mon bac.

à suivre...

18/08/2010

5. Les packs

Nous allions entrer dans l'année 1995. Cela faisait maintenant deux mois que je subissais des tortures physiques et psychiques.

Ca avait commencé par ces injections forcées de médicaments et c'était en train de se poursuivre par ces "packs".

A chaque entretien, je tentais de garder ma petite culotte, c'était devenu le but ultime de ma vie. Mais à chaque fois, je n'arrivais pas à tenir mes positions face aux psychiatres. Ils me forçaient à me dévêtir et à me coucher sur les draps mouillés qu'ils avaient étendus sur le lit. Une fois que j'étais allongée, ils refermaient ces draps glacés sur mon corps en prenant bien soin d'immobiliser mes bras et mes jambes. Je me retrouvais ainsi dans l'impossibilité de bouger pendant 45 minutes.

Dès qu'ils m'avaient ligotée, je ressentais la morsure du froid transpercer mon corps et mon âme. Le froid de ces draps glacés et détrempés était tellement vif que mes dents se mettaient à claquer et que ma tête devenait douloureuse.

Eux étaient contents, car comme ils me l'expliquaient, c'étaient eux qui avaient mis au point cette technique des packs et ils étaient les seuls à la pratiquer en Suisse: "Nous sommes des pionniers!", s'exclamaient-ils tous fiers. Ils m'expliquaient ensuite que cette méthode était sensée me détendre et me permettre de retrouver ma sérénité...

Franchement, comment voulez-vous vous détendre quand on vous a obligé à vous dévêtir entièrement et que vous êtes gelé jusqu'aux os? Pour moi en tous cas, c'était devenu un supplice doublé d'une humiliation profonde.

J'appréhendais chaque rendez-vous. En plus, nous étions en plein hiver et la maigreur que j'avais atteinte me faisait encore plus subir la morsure du froid. Il me fallait plusieurs heures pour arriver à me réchauffer après chaque rendez-vous.

Ces entretiens étaient physiquement très éprouvants. Une bonne partie du peu d'énergie vitale qu'il me restait passait dans ce combat contre le froid.

Mais pendant ces 45 minutes passées ligotée dans le froid, il fallait encore que je subisse leurs discours.

J'avais été orientée vers l'hôpital psychiatrique de Nant à cause de mon anxiété et de mes inquiétudes face à ma dernière année de gymnase. J'avais tellement peur de ne pas être à la hauteur que j'avais sacrifié toute mon adolescence à la réussite de mes études, ce qui m'avait conduite à un épuisement nerveux. J'avais de la peine à trouver le sommeil et le manque de repos ne faisait qu'aggraver mon anxiété. J'avais visiblement trop tiré sur la corde les deux années précédentes et mon corps me le faisait savoir.

Malheureusement, ce n'est pas de ça que me parlaient les psychiatres. Dans leur discours, il était question de problème de rébellion et de sexualité.

Je ne sais pas où ils ont été chercher ça, car je ne me rebellais pas contre l'autorité, bien au contraire, j'en avais tellement peur, que je me conformais à tout. Je ne fumais pas, ne buvais pas, ne me droguais pas, ne sortais pas et acceptais de faire ce qu'on me disait.

La seule rébellion que j'ai eue c'était face à eux et à leurs traitements humiliants et inhumains.

Quant à savoir quel problème ils ont trouvé à ma sexualité, je ne vois pas.

Bref, les deux thèmes abordés lors de ces consultations psychiatriques ne me semblaient pas être le centre du problème. Mes soucis se situaient plus du côté du surmenage, du manque de sommeil et du surinvestissement dans mes études.

Avec le recul, je pense qu'ils croyaient que j'avais un problème sexuel à cause de ma résistance face à l'enlèvement de ma culotte pour entrer dans leurs packs. Et bien sûr, j'avais certainement à leurs yeux un problème avec l'autorité vu que j'avais toujours été réfractaire aux traitements qu'ils m'imposaient.

Ces deux mois de la fin de l'année 1994 ont été un enfer. On me privait de mes cours, du soutien de ma mère, de ma liberté, de mon corps et de mon âme. J'étais passée en quelques semaines du statut d'étudiante brillante à celui de déchet humain.

Je n'étais plus rien, à quoi bon vivre?

à suivre...