25/08/2010

9 Entrée à l'Université

Automne 1995, j'avais 19 ans.

J'avais commencé à suivre des cours à l'Université de Lausanne. Les cours dispensés en Biologie me plaisaient beaucoup. J'eus également la chance de retrouver plusieurs de mes amis qui avaient aussi choisi cette branche et nous pûmes ainsi former un petit groupe pour étudier ensemble.

Pendant l'été, j'avais appris que les psychiatres de Nant avaient dit à ma mère que selon eux, je souffrais d'une grave maladie mentale et qu'il été de son devoir de me faire suivre par un psychiatre compétent.

Au début du mois d'octobre, je m'étais retrouvée en rupture de médicaments et j'avais décidé de ne pas en reprendre. Malheureusement, j'avais développé une dépendance physique à ces substances et je souffris de manque dès les premiers jours passés sans en prendre. Je tentais malgré tout de tenir quelques jours de plus, mais les douleurs étaient telles que je dû admettre que je n'arriverais pas à les supporter très longtemps.

A ce moment-là, je ne savais pas que l'on pouvait développer une dépendance physique aux médicaments psychiatriques. Je pensais naïvement que la seule forme de dépendance qu'il pouvait exister à ce genre de produits était une dépendance psychologique. Et j'étais certaine qu'une telle forme de dépendance ne pouvait pas m'arriver, puisque j'avais toujours été opposée à la prise de ce traitement médicamenteux et que je n'en retirais aucune forme de bien-être.

Bien au contraire, ces substances occasionnaient, chez moi, une grande gêne au quotidien. Ainsi, j'avais très rapidement remarqué qu'elles me ralentissaient dans mes activités physique, psychique et intellectuelle et créaient d'importantes douleurs physiques.

Par conséquent, lorsque l'effet de manque se manifesta à la suite de l'arrêt de la prise de ces neuroleptiques, je ne sus pas pourquoi je me sentais si mal. Au début, j'ai pensé que j'avais attrapé la grippe à cause des douleurs musculaires, des problèmes intestinaux et des maux de tête. Mais je me rendis vite compte que cela ne pouvait pas être la grippe.

C'est ainsi que ne sachant pas exactement ce qu'il m'arrivait, je crus ma mère lorsqu'elle m'affirma que cela devait être une expression de la maladie pour laquelle les psychiatres de Nant m'avaient "traitée". J'étais tellement mal que je me serais appuyée sur n'importe quelle explication, pourvu qu'on trouve un moyen de soulager mes douleurs.

Il faut savoir que l'état de manque généré par l'arrêt de la plupart des médicaments psychiatriques est comparable à celui que ressente les héroïnomanes.

C'est dans ces circonstances que ma mère appela la clinique psychiatrique de Nant où j'avais été suivie l'année précédente. L'accueil qu'elle reçu fut très dur et elle sembla brisée après avoir reposé le combiné du téléphone.

Le psychiatre en charge de mon traitement à Nant me délivra une ordonnance pour un nouvelle boîte de neuroleptiques. Il sermonna également ma mère quant au fait qu'elle ne m'avait pas obligée à continuer mon traitement médicamenteux et qu'elle ne m'avait pas faite suivre par un psychiatre après la fin de mon traitement ambulatoire dans leur établissement.

Ma mère sembla tellement secouée par le coup de fil qu'elle eut avec ce psychiatre, que je compris à quel point il lui faisait peur à elle aussi.

Apeurée par les propos de cet homme, elle se mit immédiatement à la recherche d'un psychiatre pour assurer mon suivi.

Elle trouva un homme parmi ses clients (elle était secrétaire dans une agence immobilière) et le supplia de me prendre comme patiente. Il accepta de me recevoir quelques jours plus tard.

C'était un psychiatre américain qui était venu pratiquer en Suisse. Il avait également engagé une psychologue canadienne pour le suivi psychothérapeutique de ses patients.

Lors du premier entretien, il me dit que comme sa psychologue n'était pas bien rémunérée, je devais amener 70.- francs suisse à chaque séance avec elle et les lui donner de main à main. Pour ses consultations à lui, il n'y avait pour le moment pas besoin d'amener de l'argent en liquide, car c'était l'assurance maladie qui allait payer.

Il me dit ensuite que je devais changer de médication, que les médicaments que les psychiatres de Nant m'avaient prescrits étaient vieux et dépassés et qu'il existait maintenant une nouvelle génération d'antidépresseurs développés aux Etats-unis qui allaient m'aider. Il ajouta que comme ces médicaments n'avaient pas encore reçu l'autorisation de mise en vente en Suisse, il me les fournirait lui-même.

Il alla donc ouvrir une armoire qui contenait des centaines de boîtes de cet antidépresseur et m'en tendit une. C'était de l'Effexor 37.5

à suivre...

24/08/2010

8. Vacances d'été et diagnostics

Eté 1995.

J'avais décroché mon baccalauréat et le supplice enduré pendant neuf mois entre les murs de l'unité psychiatrique ambulatoire de Nant avait pris fin.

Je décidais de m'offrir un peu de temps cet été-là.

C'est ainsi que j'allais tous les soirs au Festival de Jazz de Montreux pour y retrouver des amis. Nous passâmes des moments inoubliables ensemble. Ce fut le plus bel été de ma vie.

Je crois que le fait d'être privé de liberté permet de mieux apprécier les moments où celle-ci nous est rendue.

C'est avec un bonheur immense que je partageais ma liberté retrouvée avec mes amis.

Je gagnais aussi un peu d'argent en effectuant quelques petits boulots sympas.

En cet été 1995, la vie reprenait son cours.

Je souffrais toujours à cause des médicaments psychiatriques que je devais avaler, mais j'essayais d'occulter les douleurs psychique et physique que ces substances engendraient.

Je repensais souvent aux paroles de mère concernant un éventuel traitement psychiatrique futur. Je réfléchissais à ce que les psychiatres de Nant avaient bien pu lui dire à mon sujet pour qu'elle s'inquiète de la sorte. De quelle maladie mentale m'avaient-ils affublée?

Ils m'avaient dit que je souffrais d'une dépression grave. Je n'avais jamais été d'accord avec ce diagnostic, car à mes yeux, je souffrais plutôt de surmenage et d'anxiété générés par le peur d'échouer à mon examen final.

Le diagnostic de dépression grave laissait entendre qu'il y avait un risque de suicide, mais moi, j'aimais la vie et je n'avais jamais eu d'idées suicidaires.

Bien sûr, je pense que durant toute la période où j'ai du supporter leurs humiliations psychiques et physiques (les séances de packs), je ressemblais plus à quelqu'un de dépressif voire suicidaire, qu'à quelqu'un qui aime la vie.

Il semblerait également qu'ils aient dit à ma mère que j'étais une personne psychotique paranoïaque.

Donc, d'après les psychiatres de Nant, j'étais une folle qui avait perdu le sens des réalités (psychotique) et qui nourrissait une image démesurée d'elle-même en pensant que tout le monde voulait lui nuire (paranoïaque).

J'ai certainement dû ressembler à ça pendant que j'étais ligotée dans les packs. En effet, je m'évadais par la pensée pour ne plus souffrir quand je me retrouvais enfermée nue dans ces draps glacés. Ce qui a dû leur faire penser que je perdais le contact avec la réalité. J'avais également peur d'eux donc, je ne me confiais pas et le fait d'avoir dû enlever ma culotte m'avait profondément blessée et humiliée. Ce qui leur a certainement fait penser que j'étais paranoïaque, puisque les personnes paranoïaques "discernent des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des évènements anodins, perçoivent des attaques contre leur personne ou leur réputation, alors que ce n'est pas apparent pour les autres et sont réticentes à se confier à autrui en raison d'une crainte injustifiée." (voir définitions Wikipédia)

Les psychiatres de Nant ont donc réussi à persuader ma mère que j'étais une personne atteinte d'une grave maladie mentale et que je devais être suivie au plus vite par un psychiatre pour que ma maladie n'empire pas.

Durant cet été 1995, je ne sus toutefois pas qu'ils m'avaient collé cette étiquette de psychotique, car ils n'en avaient informé que ma mère. Je pensais qu'ils m'avaient simplement classée dans la catégorie des dépressifs.

Je passais donc d'agréables vacances, ne me doutant pas de la détresse que vivait ma mère suite au portrait de malade mentale que les psychiatres de Nant lui avaient brossé de moi.

Certes, je la voyais inquiète à mon sujet, mais je pensais qu'elle voyait aussi à quel point j'étais mieux depuis que je ne devais plus me rendre aux séances de packs.

Je me disais qu'avec le temps tout allait rentrer dans l'ordre, que nous allions pouvoir reprendre le cours de nos vies.

Je m'étais inscrite à l'Université de Lausanne en section biologie finalement. J'étais enthousiaste à l'idée d'entamer un cursus dans ce domaine.

Malheureusement, j'avais dû continuer à prendre les médicaments prescrits par les psychiatres, car j'avais été incapable de les stopper à cause des forts symptômes que l'arrêt de ceux-ci occasionnait. Je ne savais pas à cette époque-là que l'on pouvait développer une dépendance physique à ces produits, donc je m'en voulais beaucoup de ne pas arriver à me débarrasser de ces substances qui étaient les derniers signes de mon passage douloureux en psychiatrie.

Et je ne savais pas encore que cette dépendance allait me coûter ma liberté et que j'allais de nouveau devoir affronter le monde de la psychiatrie.

 

à suivre...

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Définitions Wikipédia:

Une personne psychotique est une personne qui souffre d'une psychose.

La psychose est définie sur Wikipédia comme suit: "Le terme psychose, introduit au XIXe siècle, désignait la folie et l'aliénation. C'est un terme général qui désigne les affections mentales les plus graves, caractérisées par une atteinte globale de la personnalité. Selon le DSM IV, la psychose se caractérise par des troubles, transitoires ou permanents, de la personnalité liés à une altération du « sens de la réalité et de soi »,et associe des symptômes positifs (délires, hallucinations), négatifs (apathie, aboulie, émoussements des affects...) et dysexécutifs (attention, mémoire de travail...). Selon les tenants de cette approche, les psychoses comprennent deux grands groupes: schizophrénie et psychoses délirantes."

Personne paranoïaque:

"Ce trouble affecte de 0,3 à 2,5 % de la population générale. D'un point de vue sémiologique, les personnalités paranoïaques se caractérisent par quatre traits fondamentaux qui entraînent à terme une difficulté d'adaptation sociale :

  1. la surestimation pathologique de soi-même ;
  2. la méfiance extrême à l'égard des autres ;
  3. la susceptibilité démesurée ;
  4. la fausseté du jugement.

Le DSM-IV définit ainsi le trouble de la personnalité paranoïaque :

  • A. méfiance soupçonneuse envahissante envers les autres dont les intentions sont interprétées comme malveillantes, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présente dans divers contextes, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes:
  1. le sujet s'attend sans raison suffisante à ce que les autres l'exploitent, lui nuisent ou le trompent ;
  2. est préoccupé par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de ses amis ou associés ;
  3. est réticent à se confier à autrui en raison d'une crainte injustifiée que l'information soit utilisée de manière perfide contre lui ;
  4. discerne des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des évènements anodins ;
  5. garde rancune, c'est-à-dire ne pardonne pas d'être blessé, insulté ou dédaigné ;
  6. perçoit des attaques contre sa personne ou sa réputation, alors que ce n'est pas apparent pour les autres, et est prompt à la contre-attaque ou réagit avec colère ;
  7. met en doute de manière répétée et sans justification la fidélité de son conjoint ou de son partenaire sexuel ;
  • B. ne survient pas exclusivement pendant l'évolution d'une schizophrénie, d'un trouble de l'humeur avec caractéristiques psychotiques ou d'un autre trouble psychotique et n'est pas nécessairement due aux effets physiologiques directs d'une affection médicale générale."

 

 

23/08/2010

7. Le baccalauréat en poche

Depuis la fin du mois de février 1995, j'avais réussi à reprendre le chemin des cours. Cela n'était toutefois pas facile de suivre le programme avec les quatre mois de retard que j'avais accumulés. Quatre mois d'absence en dernière année de gymnase, ça fait beaucoup et je n'étais pas du tout sûre de décrocher mon bac à l'issue de cette année.

J'avais très peur d'échouer, car ça pouvait me renvoyer devant des difficultés insurmontables.

J'ai donc décidé de ne pas m'écouter et de fonctionner en mode automatique: seul moyen de ne pas souffrir.

J'allais aux cours quelques heures par jour, incapable de rester réveillée plus d'une demie journée à cause de la dose massive de neuroleptique et d'anxiolytique que les psychiatres m'avaient prescrite. Je devais également me rendre à leurs entretiens deux fois par semaine. Sans oublier que je devais faire bonne figure à la maison pour que ma mère ne s'inquiète pas et qu'elle me laisse continuer à fonctionner ainsi jusqu'à la fin de l'année scolaire.

Le mois de juin arriva très vite et avec lui les examens finaux clôturant ces trois années de gymnase. Mais avec lui arriva également le moment de s'inscrire à l'Université. Je n'y avais plus du tout pensé, étant complétement absorbée par mes problèmes du moment. C'est ainsi que mon professeur de mathématiques est venu me voir pour me dire qu'il fallait absolument que je m'inscrive à l'Université et qu'il fallait que je choisisse l'option mathématique.

Mais je n'étais pas du tout prête à envisager mon futur dans l'état où je me trouvais. J'avais juste envie d'investir l'énergie qu'il me restait dans les révisions afin de pouvoir peut-être décrocher mon bac.

Je m'inscrivis quand même à l'Université de Lausanne en section mathématique dans le but d'avoir un dossier d'inscription en route au cas où je décrocherais mon bac et que j'aurais la force de continuer à vivre.

C'est vraiment dans cet état d'esprit que je remplis mon formulaire d'inscription, car je ne me voyais aucun avenir après le bac. Je continuais simplement à avancer vers cette fin d'année scolaire, parce qu'autrefois ça avait été mon but...

Et, par je ne sais quel miracle, je décrochais brillamment mon bac malgré mon état lamentable.

La remise des diplômes ne fut pas très agréable pour moi, car beaucoup de mes camarades ont pensé que j'avais été largement avantagée et que les professeurs m'avaient donné mon diplôme.

Je ne peux pas leur en vouloir, car eux tout ce qu'ils ont vu, c'est une fille qui n'est pas venue aux cours pendant quatre mois et qui est venue à la carte les quatre mois qui suivants.

En fait, mes camarades ne m'ont presque pas vue pendant cette dernière année et ils en ont vite conclu que je me l'étais coulée douce tout ce temps pendant qu'eux trimaient comme des fous. Mais c'est un peu de ma faute s'ils ont pensé ça de moi, car je ne voulais pas qu'ils soient tenus au courant de mon passage dans une unité psychiatrique et seuls quelques amis proches le savaient.

Pour que cela soit bien clair: J'ai dû passer les examens finaux comme tout le monde et je n'ai pas eu de traitement de faveur à ce sujet!

Je me sens obligée de préciser cela, car lors de cette remise des diplômes, une grande majorité de mes camarades et de leurs parents ont émis des doutes à ce sujet.

Heureuse d'avoir obtenu mon baccalauréat (maturité fédérale section mathématique-science), j'oubliais quelques instants mon calvaire psychiatrique.

Bien évidemment, je devais toujours ingurgiter des comprimés et j'étais toujours soumise à des entretiens psychiatriques à la section ambulatoire de l'hôpital psychiatrique de Nant.

Mais ce traitement allait bientôt prendre fin.

Lorsque les psychiatres m'annoncèrent que mon "traitement" chez eux était terminé, j'étais aux anges. J'étais persuadée que mes stratégies avaient payé et que le fait que je réussisse à passer mon bac avait contribué à les faire changer d'avis à mon sujet.

En réalité, mon attitude n'y était pour rien dans leur décision. Si mon "traitement" prenait fin, c'était parce que cela figurait dans le protocole de l'établissement. Les patients de cette unité de l'hôpital psychiatrique de Nant, ne pouvaient être suivis que pendant six mois et moi j'avais été suivie pendant presque neuf mois...

Le psychiatre en chef insista bien sur la chance que j'avais eue d'être suivie pendant trois mois de plus que le protocole de soin ne l'autorisait. Qu'il avait fait une exception pour moi et que je devais me montrer reconnaissante envers lui pour ce geste exceptionnel!

Lorsque je sortis de ce dernier entretien, des larmes de joie me coulaient le long de joue. Je voulus partager le bonheur de cette liberté retrouvée avec ma mère, mais celle-ci cassa vite cet élan en me disant:

"Les psychiatres m'ont dit que tu n'étais pas tirée d'affaire, loin de là. En fait, ta maladie est bien installée et continue à progresser. Il va falloir qu'on te trouve un excellent psychiatre qui puisse continuer le traitement commencé par les psychiatres de Nant."

Je restais interloquée...

à suivre...